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Une mystérieuse femme russe

Une voix douce et mélodique résonne toujours dans ma mémoire. Je me rappelle une fenêtre habillée de rideaux bleus et courts, un géranium blanc posé sur le rebord. A côté se tenait cette vieille femme dont le visage était parsemé de rides. Mais si beau et confiant. Celui de Praskovia Fiodorovna.

Une mystérieuse femme russe
Praskovia : Archive familiale

Praskovia Fiodorovna était une vraie femme russe : belle, éduquée, forte voire autoritaire, mais elle avait cette extraordinaire capacité à pardonner. Sa vie n’était ni simple ni joyeuse. Elle exigeait beaucoup des autres mais elle leur donnait encore plus.

Ce ne sont pas les médailles du travail qui sont trop lourdes, ce n’est pas le travail qui épuise, c’est juste la vie qui passe sans qu’on ait le sentiment de l’avoir vécue. Praskovia a étudié dans une école ordinaire, à 15 ans elle a commencé à travailler comme comptable dans un hôpital, à 40 ans elle s’est inscrite dans une école de médecine et a obtenu un emploi en tant qu’infirmière. « J’étais fatiguée des inspecteurs. On ne fait pas de comptabilité, mais on leur lèche les bottes », expliquait-elle.

femme au travail infirmières
Avec les collègues : Archive familiale

Il n’y avait rien d’inhabituel dans sa vie. C’était une femme comme toutes les femmes soviétiques de cette époque, qui construisaient leur vie après la guerre. Tout se déroulait comme chez les voisins, tout était comme chez les collègues. Ordinaire. Les enfants de cette génération n’observaient pas de différences dans leur vie, leur destin était tracé selon le modèle soviétique.

Enfance

Praskovia est née dans un village sibérien qui s’appelait Serebryanka. Quand elle a eu onze ans, sa famille a déménagé à Tobolsk, une ancienne capitale de province sibérienne. La décision de déménager a été prise par son père, Mikhail Fadéevitch, car il avait la possibilité de trouver un travail dans cette ville : «On ne peut pas survivre grâce au bétail, je n’irai pas au kolkhoz !», s’exclamait le père de Praskovia.

C’était une famille koulak, comme les soviets appelaient les gens qui avaient une propriété, une ferme et des économies. Les nouvelles lois stipulaient qu’il fallait donner tout son bétail au service de la commune (les gens n’avaient pas le choix), ce qui ne correspondait pas à la façon de vivre de ces koulaks. Ce régime communiste ne leur permettait pas de poursuivre leurs activités agricoles, voilà pourquoi beaucoup de familles de cette classe décidèrent de déménager dans des villes où ils pouvaient travailler comme salariés.

« On avait vécu sans avoir connu le chagrin. On ne se posait pas de questions sur la politique. Le pouvoir est un pouvoir. Mon père avait sa propre ferme, il y avait beaucoup d’animaux. Mais les soviets sont venus et lui ont dit de donner notre cheval et nos moutons au kolkhoz, autrement ils le traîneraient au tribunal. On ne pouvait rien faire ; évidemment, on ne voulait pas rejoindre le kolkhoz. Qui aurait pu se justifier ? On leur a laissé une vache et des poulets. 

Nous avons commencé à faire nos valises, mais notre voisin nous a vus et a commencé à faire une scène : « Où voulez-vous emporter toutes ces affaires ? Elles appartiennent au kolkhoz ! ». Je lui ai donc dit : « Vous êtes prêts à prendre tout. Sommes-nous des animaux ? Nous dormirons sur quoi ? Vous voulez que j’enlève ma dernière chemise ?! Tenez, prenez-la ! » et j’ai enlevé mon manteau tout en étant prête à enlever ma chemise de nuit (c’est tout ce que j’ai pu mettre cette courte nuit). Il ne s’attendait pas à ça, il m’a dit : « Calme-toi, la bagarreuse, partez en paix ».

Nous sommes partis de nuit, c’était l’hiver. Le père a enveloppé les plus petits de ses 5 enfants dans des couettes. Nous vivions chez une vieille dame chez qui mon père avait frappé une nuit et avait demandé un abri.

La vie dans la ville n’est pas devenue plus facile pour moi. Le matin, je nourrissais le bétail puis allais à l’école. J’étais intelligente, je prenais les choses comme elles venaient ; faire des études, c’était facile. Après l’école je faisais mes devoirs. Ensuite, j’allais deux rues plus loin ; à l’époque il y avait une petite forêt, j’en rapportais du bois (les voisins abattaient le bois et nous en donnaient un peu, ils avaient pitié de nous).

Parfois, après avoir porté l’eau jusqu’à la maison, mon dos ne se redressait pas ; il fallait en porter suffisamment pour arroser tout le jardin (on en avait un grand!), pour nourrir les vaches et pour la bania (le sauna russe). Le puits était au bout de la rue, cette corvée m’occupait toute la journée ! Ce n’était pas une activité joyeuse d’autant plus que je m’y attelais toute seule. J’allais chercher le pain, on n’en donnait que 200 grammes par famille. Je gérais beaucoup de tâches domestiques, je n’avais pas le temps de faire la queue (il y avait des files d’attente partout). Quand j’arrivais, les moujiks (les hommes paysans) me disaient : « Tiens ! Encore elle ! Vas-y, approche, on va te donner un coup de main », et comme ça j’accédais directement à l’entrepôt. »

La mère, Eugenia Gerasimovna, restait la plupart du temps à la maison avec ses filles cadettes ; de santé faible, elle ne pouvait pratiquement rien faire à la maison. Le père commençait à travailler tôt le matin et jusque tard dans la nuit dans une usine biologique, ainsi le quotidien de toute la maison reposait sur les épaules de Praskovia.

« Pendant la guerre, mon père a servi dans l’armée du travail. Il est parti en vacances  et puis il n’a plus voulu retourner dans l’armée, c’était une période terrible. On ne pouvait plus rien payer, le travail était infernal et il fallait nourrir la famille. Ils l’ont envoyé au tribunal et l’ont condamné à 10 ans de rétention. Je lui rendais visite en prison, pleurais, le directeur de la prison me disait alors : « Ne pleure pas, la guerre se terminera et tout le monde sera libéré. » Il était gentil, il disait :  « Tu n’as même pas peur des rats, tu te promènes ici ! Allez, les gars, ne la laissez pas entrer », riait-il ». On a vraiment libéré son père neuf mois plus tard.

1947

L’année de la mort de son père. Il s’est pendu. Pas de notes. « Écrivait-on à cette époque ? Personne ne s’y attendait. Tout le monde était occupé par ses propres affaires. C’est notre chien qui m’a fait sortir dans la cour, alors je l’ai vu. » Est-ce qu’elle était choquée par ce que son père avait fait ? Si on lui posait cette question, Praskovia soupirait profondément et répondait : « Dieu est avec eux, il ne faut pas remuer les morts ! ». Sa vision des choses était à part.

Son frère Mikhail était déjà marié, vivait séparément, sa sœur aînée Lisa s’était aussi mariée et avait déménagé. Praskovia, qui avait 24 ans, est restée seule à élever ses deux sœurs cadettes. « Tanya et Galya étaient petites. Mon chef, Alexeï Alexandrovitch Trunsky, un type sérieux, a déclaré qu’il ne nous accorderait aucune allocation ; si je pouvais pas les élever, il faudrait les placer à l’orphelinat ! Quel c***** ! Des années plus tard, alors qu’il était à la retraite, il est venu me demander de la bouse, je ne la lui ai pas donnée ! ». Au sujet de sa mère, elle disait : « Eugenia venait d’une famille riche. Mais elle ne savait rien faire à la maison ! Maman rugissait : « Pana (un diminutif de Praskovia), comment pourrais-je survivre sans toi ! Ne me laisse pas avec les filles » ». Praskovia racontait ceci d’un ton amer. « Maman est morte tôt, d’un cancer. »

« Avant le mariage, j’avais deux prétendants, les deux étaient chirurgiens, ils m’ont beaucoup aimée. Qu’aurais-je fait avec eux ? Il aurait fallu prendre soin de leurs mains, apporter ci, donner ça. Et moi, j’avais besoin d’un travailleur acharné qui sait tout faire dans une maison ! Les femmes y passaient déjà assez de temps. »

Mariage

En 1949 elle s’est mariée. Son mari, Mikhail, avait été blessé à la jambe pendant la guerre. Pendant longtemps il a caché cet événement à sa femme. « Quand nous allions marcher dans la campagne, je prenais de l’avance. Je lui demandais alors : « Pourquoi boitais-tu ? ». Et il me répondait : « Oh, j’ai un peu de callosité, vas-y, je te suis doucement ». Fortement blessé à la jambe, il a caché sa douleur. « Si je te l’avais dit, tu ne m’aurais pas épousé. » « Bien sûr, jamais je n’aurais commis une telle bêtise ! »

famille russe soviétique
Praskovia avec son mari Mikhail et leurs deux filles Valentina (à gauche) et Natalia (à droite) : archive familiale

« Mes belles-sœurs ont gâché notre vie aussi. Dès qu’elles avaient un souci, elles appelaient Micha (diminutif de Mikhail) pour qu’il aille les aider, alors qu’elles étaient en bonne santé ! « Est-il obligé de vous aider ? Il a déjà une autre famille ! », leur disais-je, et elles réitéraient : « Ben…quoi, il faut aider ses sœurs aussi ! ». Elles ne le laissaient pas tranquille.

Qu’il jouait bien de l’accordéon ! Quand nous allions au bal, toutes les filles s’agglutinaient autour de lui ! Et lui, tu sais, il ne faisait que jouer ! Il était un bon mari sauf lorsqu’il buvait. Je me suis battue de toutes mes forces contre cette mauvaise habitude. Il a même gardé une cicatrice au visage après que je l’ai frappé avec une planche en bois, un jour où il était revenu à la maison complètement ivre. Mikhail n’a pas bu pendant six ans, puis il est allé en vacances dans le Caucase et à son retour, il s’est exclamé : « J’ai recommencé à boire ! » S’il n’avait pas bu, il aurait vécu longtemps !

Le quitter n’était pas une option, on avait déjà deux filles. Partir dans une autre ville n’en était pas une non plus, il aurait fallu le faire plus jeune afin qu’il soit plus facile de s’y installer. J’avais un Polonais qui m’écrivait quantité de lettres (je l’avais rencontré au travail), il m’a proposé de m’installer chez lui. Mais comment ? Les enfants étaient petites, je ne les aurais pas abandonnées. Il a tenté de me convaincre pendant longtemps. Quel bel homme ! »

Elle se rappelait de toutes les discussions du passé, qu’elle racontait d’un air exalté comme dans une pièce de théâtre dans laquelle elle interprétait tous les rôles. Elle se souvenait de toutes les habitudes de son professeur de mathématiques préféré, Ivan Fiodorovitch, qui, après la mort de sa femme, avait élevé seul ses cinq enfants. « C’était un homme intéressant. Il me disait : « Parunya (un autre diminutif de Praskovia), vas-y, réponds ! ». Praskovia se remémorait le directeur de l’école, les conversations de ses voisines, les blagues des médecins-chefs et des autres responsables auxquels elle devait faire face.

« Micha traitait bien mes sœurs. Un jour, il est rentré du travail et on s’est mis à table ; j’ai commencé à le servir et il m’a dit: « Qu’est-ce que c’est que ça ? Commence d’abord par les filles et que je ne voie plus jamais ça ! », dépeignait-elle d’une voix sévère. « Je n’oublierai jamais cette fois où je suis allée chercher du foin. On a déchargé la charrette sur laquelle on avait assis Galya qui s’y était endormie, et on est partis. De loin on a entendu un moujik crier : « Hé, les imbéciles, tenez, vous avez laissé un enfant pour qui donc ? » Nous avons fait demi-tour et Galya, qui était tombée de la charrette, continuait à dormir par terre ! ». (Rires).

Praskovia et Mikhail ont vécu ensemble pendant 37 ans, ils ont eu deux filles. « Nous construisions une maison. Les amis de Micha nous aidaient ainsi que mon neveu, Volodia. Les poutres empilées se sont mises à dégringoler, les hommes ont alors chuté, et tout a commencé à tomber sur Volodia. Je me suis interposée ; il valait mieux que je sois réduite en miettes plutôt que ce jeune homme. Je me suis alors retrouvée coincée, et tout est sorti de moi ! On est arrivés à l’hôpital et le médecin m’a dit « ! Vous n’êtes qu’une imbécile, qu’avez-vous fait avec votre bébé ! » Quelle douleur j’ai dû supporter ! Mikhail m’a consolée : « Ne pleure pas, eh bien, on ne fera plus d’enfants ». En 1986, Mikhail est parti. Praskovia est restée seule.

Sa vie a continué avec ses petits-enfants, tandis que ses filles menaient leur carrière. D’abord, elle a élevé trois petits-enfants, puis après une dizaine d’années, une quatrième « s’est ajoutée ».

Joie de vivre
Prakovia avec sa fille aînée Valentina et sa nièce Marguarita : archive familiale

« Je n’ai même pas vécu. Depuis l’enfance : l’eau à transporter, le foin à conserver, un travail dès mes 16 ans comme nounou, puis la guerre, le mariage (qui n’a apporté que des problèmes). Je suis ensuite devenue infirmière dans un hôpital ; mais pourquoi me suis-je tournée vers cet emploi ? Il aurait mieux valu rester dans le département de la comptabilité, la retraite aurait été plus élevée et je n’aurais pas dû cesser de travailler si tôt. Je pensais faire un beau geste : m’occuper de mes petits-enfants, mais maintenant ils me disent que si je ne les avais pas élevés, ils auraient grandi sans moi », racontait Praskovia.

Une voiture freine, une remorque se décroche et fauche Praskovia. Le conducteur part et ne sera jamais retrouvé ni condamné. Après cet événement, les problèmes apparaissent. À l’âge de 80 ans, ses jambes commencent à lui faire mal, non à cause de la vieillesse, mais à cause de cet accident. Elle n’a pas eu de fracture, mais Praskovia n’a pas pu marcher pendant un moment. Puis elle s’est habituée à la béquille. Des compresses de feuilles de choux appliquées la nuit sur ses genoux semblaient soulager la douleur. Elle a donc repris ses tâches quotidiennes.

2010

Clic… Clic… Les bûches partent dans tous les sens. Praskovia n’a jamais eu besoin de l’aide ou du soutien de quiconque. Malgré son âge, elle faisait tout à la maison et dans le jardin. Elle se demandait comment les autres vieilles femmes habitant un confortable appartement pouvaient se plaindre de leur santé et de leur impuissance.

Elle ne faisait pas confiance aux médecins, et, elle, ancienne ambulancière, n’aimait pas les importuner. « Que faire avec les vieux ! » Mais elle prenait soin des autres : « Mes petites-filles ne mangent rien, elles gardent la ligne. Moi, à leur âge, j’avais plus de formes et tout le monde me disait : « Oh, quelles jolies jambes elle a ! » ».

La plupart des gens se plaignent tout au long de leur vie. Praskovia affirmait : « Maintenant, je suis entrée dans la vieillesse, mais que ferai-je après ? ». La vie ne s’arrête pas avec la misère. Les gens ont encore beaucoup de choses à faire.

Le ramassage de la neige à la pelle…

La cour est presque nettoyée de toute la neige et il fait déjà nuit, cette vraie femme russe prénommée Praskovia range sa pelle dans le hangar. « Les filles, allumez la bouilloire, on va prendre un thé ! »

En octobre 2012, Praskovia est décédée après avoir mené une vie convenable, élevé deux sœurs cadettes, deux filles et quatre petits-enfants, et surtout leur avoir donné les clés pour affronter la vie. Elle a vu sa première arrière-petite-fille et aurait pu voir son premier arrière-petit-fils.

Ma grand-mère n’était pas obligée de me garder après la disparition de ma mère. Mais elle est restée près de moi, dure et méfiante. Moi, l’enfant gâtée par mes propres ambitions, je l’ai quittée pour suivre mes rêves. Durant ses derniers jours, alors que j’avais bien compris qu’il ne lui restait pas beaucoup de temps, je n’ai pas pu trouver la force de lui dire à quel point je l’aimais et lui étais reconnaissante.

Les relations familiales ne sont jamais simples, dites à vos proches ce que vous ressentez avant qu’il ne soit trop tard.


Rencontre avec Jessica Kartotaroeno, jardinière urbaine à Paris

Jessica Kartotaroeno, étudiante en huitième année de médecine, « une poète des plantes », qui adopte le bricolage et le recyclage pour son jardin urbain, partage avec nous son histoire d’amour pour le jardinage.

récolte de radis urbain

– Jessica, tu es Calédonienne. Tu as habité à Paris, à Grenoble et là, tu as été acceptée pour un poste à Genève ! Tu as un jardin caché, littéralement. Tu cultives des légumes et des fruits sur ton balcon à Paris, ainsi qu’à Grenoble et tu obtiens toutes ces récoltes régulières impressionnantes ! Je souhaite énormément qu’un jour tu organises un atelier de jardinage urbain où tu pourras enseigner, aux débutants comme moi comment récolter les produits de ses efforts. Par quoi tu as commencé ?

– Merci Kristina pour cet interview exclusif. Un plaisir que mon passe-temps passionne et fasse rêver certains et certaines. Par quoi j’ai commencé ? Jardiner dans des petites jardinières sur mon balcon parisien de 7m2, il y a 2 ans exactement. J’ai débuté avec des plantes « faciles » à cultiver comme les herbes aromatiques. C’est le truc du débutant. Puis je me suis lancée des défis plus risqués et jamais vu … Faire pousser des courgettes dans des bacs recyclés de WWF, des blettes, des coquelicots capricieux, des okras ! Entre temps, taper sur du bois, scier, imaginer et construire me faisait penser à autre chose et embellit mon esprit et mon appartement. Je combinais recyclage et jardinage, comme maintenant.

– Est-ce que tu as toujours jardiné en Nouvelle-Calédonie et ensuite à Paris ? Etait-ce un désir de renouer avec tes origines ?

-Eh bien, en Nouvelle-Calédonie je n’ai JAMAIS jardiné ! Même JAMAIS bricolé. C’était le travail de mon papa. Moi je ne faisais que la cueillette. Il disait que le bricolage « c’est pour les garçons ». FAUX ! Jardiner n’est pas non plus venu comme ça à l’idée d’un coup de tête. Mon histoire est un peu troublante Kristina. J’ai perdu mon papa il y a 4 ans lors de ma préparation au concours national d’internat de médecine, suivi de mon papi. Il s’en est suivi d’un douloureux deuil et d’une dépression… Concilier des études stressantes et mon deuil était devenu insupportable. Je n’avais plus confiance en moi.

Je ne jardinais pas à l’époque. En faite, je ne faisais RIEN. Puis thérapie après thérapie, mon petit ami a fait bouger les choses. Il pensait que « m’occuper » le corps et l’esprit me ferait « guérir ».
Ce que mon papa faisait de merveilleux c’était « donner la vie » avec sa main verte. C’est un merveilleux souvenir, un héritage. Donc ce que je fais actuellement, renoue exactement avec mes origines calédoniennes et campagnardes. Sur la photo, c’est mon papa avec une patate douce de 4-5 kilos. Ouais, t’as rien vu d’aussi balèze!

Cultiver une patate douce de 4-5 kilos
Crédit photo : Jessica Kartotaroeno

Peux-tu me donner un chiffre approximatif sur le nombre de kilos que tu récoltes par genre, ou par saison, combien de différentes sortes de fleurs ?

– Uhmm… Impossible car je ne les pèse jamais. Cependant, je peux te dire que des fois je n’en peux plus. Un jour j’ai trop de ci et un autre, trop de ça. (Rires) Auto-suffisance alimentaire. Je donne des légumes à mes amis aussi, lol. Je les nourris mes amis.

Plein de légumes : courgettes (il paraît que c’est ma spécialité, elles fondent comme du beurre sous ta langue), délicieuses fleurs de courges (tu vas adorer, c’est une tuerie) ; tomates (j’en pouvais plus cet été, y’en avait tellement trop), piments, poivrons, blettes , radis ronds et allongés, fenouil, aubergines, haricots nains, ladies fingers (okra), herbes aromatiques. Plein de fleurs (j’adore les fleurs) : comestibles, odorantes et décoratives. Voici ce que j’ai pu faire fleurir depuis 2 ans sur mon balcon et dans ma maison : coquelicots, bleuets, bulbes, glaïeuls, bougainvilliers, tournesol, rosier, cactus, tradescantia, string of hearts … Plus les plantes décoratives de la maison… Y’en a trop à citer. Je te rassure ma maison est très propre !

Récolte de courgette dans le jardin urbain

Tu n’as pas qu’un jardin urbain, mais tu utilises aussi des bacs recyclés, tu fais de la décoration avec des fleurs et des objets recyclés. Complètement DIY ( « Fais le toi-même »). Parle-moi un peu de cette pratique ?

-Mon copain m’a un jour inscrite à un atelier de « fabrication de table avec du bois de palette » pour me faire sortir de ma dépression. J’étais pas vraiment emballée à l’époque de me trimballer dans tout Paris pour taper sur des clous et faire un truc de « garçon »… Et en faite… ben c’était G-E-N-I-A-L. Je suis donc revenue chaque semaine pour y bricoler, CHAQUE SEMAINE, pour admirer le jardin potager. Cet endroit s’appelle la Recyclerie, situé dans le 19ème arrondissement de Paris, métro ligne 4, porte de Clignancourt. C’est une ancienne gare réaménagée en repère café-restaurant-potager- ferme urbaine-discothèque… C’est compliqué à expliquer. Il faut visiter. Tu peux emprunter des appareils pour bricoler, pour manger. Un abonnement pour l’année et plein de privilège. Un endroit qui proclame « contre l’obsolescence programmé » ! Tout se recycle. Tu vois le genre… écolo quoi ! C’est là bas que tout a germé.

Objet d'art avec une plante

– Sur ton compte Instagram « kokonut_nc » ce n’est pas uniquement les photos de tes récoltes qui impressionnent, tu donnes vraiment envie de commencer à jardiner avec tes métaphores comme « guirlandes végétales » (pour les tomates), courgettes avec ses cicatrices, « copines de terre », « la joie végétale » etc. Cela est vraiment inspirant. As-tu un site où tu partages, peut-être tes conseils? Le monde entier doit être au courant ! Où trouves-tu cette inspiration ?

– Le « kokonut_nc » en hommage aux nombreux cocotiers calédoniens. Il parait que je suis « poète », « romantique » avec les plantes, m’a-t-on dit sur Instagram. J’ai beaucoup d’amour pour le monde végétal. Cela a beaucoup d’importance à mes yeux. S’il n’y pas de plante, il n’y a pas d’Homme. J’ai également un blog sur lequel je rédige des tuto rapidos sans chichi concernant mes constructions et mes plantations : kokonutdiygarden.wordpress.com. Certes, je suis plus active sur instagram. Cette inspiration vient de partout. Calédonie égale la nature par excellence.

Quand je marche dans la rue et que je vois un superbe magasin dont le prix des objets/ luminaires est exorbitant alors je m’imagine plein de choses. Et pouf je me suis construite un luminaire, puis un bureau…et hop une bibliothèque ! J’aime beaucoup le design scandinave, les formes droites. NON NON pas Ikea s’il te plaît… Concernant les plantes, je suis fan de la botanique que j’ai réussie à apprivoiser en si peu de temps. Je deviens folle quand on me parle de plantes. Il faut me comprendre, j’ai vécu 18 ans dans une jungle idyllique d’1 hectare 10 en Nouvelle-Calédonie. Mon papa était jardinier de plus. Il avait d’incroyables mains de fée.

– Tu vis l’interculturalité au quotidien. Toi, originaire de la Nouvelle-Calédonie, ton copain de la Suisse, vos parents, vous tous partagez cette activité de jardinage. D’après-toi, est-ce qu’un jardin (autrement dit un besoin d’être rattaché à la terre), c’est quelque chose qui nous (les gens de différentes cultures) réunit ?

-Bien sûr. Il permet aux gens de passer du temps ensemble, de se connaître. J’ai rencontré plein de gens d’ethnies et de cultures diverses lors des différents ateliers que j’ai effectué à la Recyclerie. J’ai beaucoup d’expérience dans les plantes tropicales et par exemple, les français connaissent bien les produits de saison dits européens. Chacun partage ses connaissances dans un milieu relaxant et convivial !

– Souvent, en commentant tes photos, tu dis : « Cela fait du bien au moral». Quelle influence sur le bien-être apporte le jardinage ?

– Je te le dis franchement : bienfait physique psychique, satisfaction de voir un avancement des tes plantations chaque jour, tu ne fais que de créer la vie (bon c’est vrai que si tu es vraiment nul(le) et bien tu tues), tu récoltes les bonnes choses que tu as semées. Les plantes m’ont sauvée. Elles continuent de le faire. Elles m’ont aidée à réussir mon concours. Je suis heureuse dans ma spécialité. Médicalement, le jardinage a été reconnu comme une parfaite thérapeutique dans le traitement du stress, de la dépression, de la perte de mémoire (Alzheimer notamment), tonicité, etc…

– Qu’est-ce que cela veut dire pour toi, l’interculturalité ? Pouvons-nous vraiment être interculturels ?

– Interculturalité, c’est quand plusieurs cultures agissent de manière synergique, afin de vivre en symbiose. Dans mon cas, calédonienne intégrée en France, d’origine indonésienne-japonaise, déménageant seule en Suisse-française, ayant vécu dans la brousse. Actuellement avec un écossais-anglais ayant toujours vécu en Suisse-germanique, plus citadin. On a gagné la palme d’or ! Si nous pouvons l’être interculturels? Oui bien sûr que nous pouvons et il le faut. Sans ça, il y aurait toujours des guerres, des gens écartés et en retrait. Si j’y crois c’est parce que la Calédonie regorge de multiples métissages. Des cultures tellement mixtes et variées. Il faudrait que tu viennes visiter !

jardin urbain sur le balcon

– Un conseil comment commencer son jardin urbain ?

– Tout le monde peut se lancer. Pour débuter, s’acheter ou récupérer une jardinière. Du terreau, de la lumière et un peu d’espace. Je donne le nom des pantes pour les plantations du débutant : herbes aromatiques, radis, plants de tomates déjà acheté ou en graines, plants de fraisiers, petites fleurs mellifères. Je ne décourage pas mais les légumes comme les cucurbitacées en ville sont plus difficile à faire pousser et demande extrêmement beaucoup d’attention. Vous risquez d’être déçue les 1ères fois (patience recommandée). Il faut se renseigner sur les saisons. Internet aide bien au début ! Faites vous un calendrier. Pinterest c’est super sympa aussi ! Sur Insta, il y a plein de blogueurs prêts à vous répondre… dont moi !
Donner un peu de temps et patienter ! A la fin, vous savourerez!


L’herbe est-elle plus verte à Paris ?

Nombre de personnes désirent s’immerger au cœur des échanges interculturels, mais souvent, une fois qu’elles s’y trouvent, elles les fuient. Elles se rendent compte que les affiches attrayantes des agences de voyages, sur lesquelles un sourire fait l’affaire, ne sont pas le reflet de la réalité.

Paris nous donne un défi pour aller à la découverte des échanges interculturels
A la découverte de Paris. Crédit photo : KB

Un jour, un ami m’a dit qu’il aimerait bien être comme moi et une partie de son entourage : tout abandonner et partir longtemps dans un pays où le soleil brille davantage, afin d’oublier ses problèmes et de simplement profiter de la vie ; mais il a son travail, sa maison et un crédit à payer. Voyager et découvrir d’autres cultures sont des expériences sans doute agréables, mais quand j’entends de pareilles phrases, j’entends surtout le regret. Comme si partir était le seul moyen d’avoir une vie de rêve remplie de rencontres, de découvertes et d’échanges interculturels.

Il est bien beau de croire que l’herbe est plus verte ailleurs, mais il est délicat d’apprécier un lointain voyage si l’on n’apprécie pas le quotidien sur place. Certains sont trop exigeants par rapport à leurs rêves et sous-estiment ce qu’ils ont à leur portée. Soit ces gens ne partent jamais, soit ils fuient en laissant tout derrière eux, y compris les êtres chers.

Je dirais que c’est un effet de huis clos : tu es enfermé avec des individus qui, d’après toi, ont vécu une expérience positive inoubliable que tu n’as toi-même pas eu la chance de vivre, mais au lieu de profiter de cette expérience (généralement volontiers partagée), tu préfères rester dans ton coin, et, en interdisant à ces individus de s’approcher de toi, tu te retrouves dans un espace encore plus restreint. Car tu crains d’être jaloux ou de ne pas vraiment comprendre leur ressenti.

Tu te places en dehors de l’expérience interculturelle car tu penses que l’unique façon de devenir comme ces gens-là, c’est de partir. Mais si tu n’es pas capable d’absorber cet échange chez toi, dans ton petit espace, il est fort probable que tu ne l’absorberas nulle part. Tu tenteras de faire connaissance mais cela demeurera superficiel car dès qu’un malaise sera ressenti, tu couperas tout contact avec autrui. En ne saisissant pas l’opportunité de cette ouverture interculturelle, tu t’enfermes dans l’idée que le seul moyen de découvrir le monde, c’est de partir.

Je faisais partie de ces gens pour qui les limites n’existent pas, je désirais toujours plus que ce que j’avais. Cela m’a pris des années pour comprendre que quoi qu’il m’arrive, je voudrais toujours de nouveaux défis, de l’adrénaline ; l’objectif atteint n’avait aucun intérêt pour moi. Mes découvertes interculturelles s’arrêtaient à mon arrivée sur un territoire inconnu parce que réaliser un voyage était un défi. En profiter n’était qu’un simple loisir sans but. Après avoir compris ceci, j’ai commencé à apprécier l’instant, à voir au-delà des petites choses, à m’étonner des détails que je n’avais jamais remarqués auparavant.

Je me sens parisienne et si quelqu’un me dit le contraire, je le prendrai mal.  Je connais bien Paris et j’adore me retrouver dans une ruelle inattendue. Je me demande combien de Parisiens s’arrêtent pour admirer la ville et la prendre en photo. Depuis cet été j’ai pris l’habitude d’aller à la découverte de petits quartiers et effectivement, les gens me considèrent comme une touriste, me demandent si j’ai besoin d’aide. Cela me donne l’impression désagréable qu’il est inconcevable qu’un local puisse admirer sa ville.

J’apprends à apprécier ce que j’ai, ce que je vis en cet instant. Je chéris les rencontres avec des personnes d’origines différentes, j’aime poser des questions paraissant peut-être sottes sur des coutumes et des clichés de leur pays. J’adore mentionner que j’ai un.e ami.e de telle nationalité m’ayant fait part de telle anecdote. Cela peut s’appeler la curiosité, l’ouverture d’esprit ou la bienveillance : les fameux composants de la compétence interculturelle.

Je sais de mon expérience qu’il faut commencer à appliquer ces techniques chez soi avant de partir à l’aventure. Je veux bien sûr appréhender non superficiellement d’autres pays ainsi que leurs véritables caractéristiques culturelles, mais c’est à Paris que j’ai décidé de m’installer. Cela ne m’empêchera pas de continuer à faire de nouvelles découvertes, grâce à l’internationalisation de nos villes. Pour moi l’herbe est plus verte ici, mais je suis bien curieuse d’apprendre à discerner toutes ses nuances.


Un environnement scolaire britannique « girl-friendly »

Les femmes sont considérées de la même façon que les minorités. Un statut intimidant. Comment la nature et la psychologie féminine nous ont-elles menés à ce résultat ? Après des siècles de combat pour les droits des femmes, ces dernières ont gagné la permission de porter un pantalon, de réussir à condition d’accepter les règles du jeu – règles masculines – et de bénéficier de certains avantages en contrepartie de leur statut de minorité. Le système éducatif est resté en dehors de cette lutte. Les écoles devraient-elles tenir compte du genre ?

Un environnement scolaire « girl-friendly »
Une fille doit être confiante dans l’environnement scolaire : KB

Le débat sur la mixité à l’école n’est pas terminé. Les filles se comportent différemment en présence de garçons, un fait confirmé par les biologistes et les psychologues (Younger, 2016). Souvent, les filles restent en retrait dans une discussion, de peur d’être ridiculisées. Je me rappelle bien d’une situation similaire au lycée (high school en Russie) pendant un cours d’éducation civique, durant lequel nous avions parlé de la culture, de ses sens et significations. J’avais levé la main et dit : “La culture peut s’envisager comme la civilisation ». Sans me laisser le temps d’expliquer mon point de vue, les garçons de ma classe avaient commencé à rire.

Cet incident portant sur la relation fragile entre les notions de « Kultur » en allemand et de « civilisation » en français, deux langues qui ont beaucoup influencé la langue russe, m’irrite toujours. L’institutrice, déjà épuisée par les comportements des adolescents dans la classe, ne m’avait pas demandé de précisions non plus.

Le système éducatif est très lié à la culture d’un pays. La mixité, l’enseignement laïc, l’égalité des chances sont des principes ne devant pas être considérés comme acquis. La culture est une force. Créer un environnement dans lequel des filles d’origines différentes se sentent à l’aise et peuvent s’exprimer librement est l’avenir du système éducatif.

The Girls’ Day School Trust (), un réseau britannique d’écoles indépendantes pour filles

Le @GDST a démontré l’importance de 4 points clés à développer :

Confiance : enquêter, réfléchir et pouvoir défendre son point de vue ;

Courage : être prête pour de nouveaux défis, prête à prendre l’initiative ;

Sérénité: assumer ses responsabilité, être consciente de soi-même et de son impact sur le groupe ;

Engagement : valoriser la collaboration et le partage des connaissances, pouvoir participer de manière critique dans un groupe.

Il est important de créer un environnement dit « girl-friendly » dans lequel les filles peuvent prendre des risques sans perdre la face, sortir de leur zone de confort et gagner des points sans craindre de menaces. Ce ne sont pas des outils ou de la méthodologie dont il est question, mais de la volonté des enseignants et de la compréhension des parents. Le GDST a mené une étude de cas où l’instruction des filles était assurée sans pédagogie spécifique aux filles : après avoir sécurisé cet environnement, les filles prennent confiance en elles et s’ouvrent à a réflexion et aux échanges.

Les stéréotypes sexistes dans la classe

Avez-vous déjà dit ou pensé que les garçons étaient meilleurs en maths ? Moi oui, et j’en suis vraiment persuadée. J’ai vraiment détesté l’algèbre et j’ai compté les jours jusqu’à la fin de l’année scolaire rien que pour me débarrasser de cette matière. Dans le même temps, j’ai beaucoup aimé la géométrie, notamment lorsque l’on devait démontrer des théorèmes ; ces exercices me semblaient magiques, comme si je défendais un innocent devant un tribunal en concluant : « Q.E.D ». Mais comme beaucoup de filles, j’étais plutôt attirée par la littérature et l’histoire, et j’ai donc abandonné la géométrie en me disant que de toute façon je n’étais pas assez douée et que c’était un truc de garçon.

Un autre stéréotype montre les filles comme surreprésentées dans les activités extra-scolaires. Effectivement, j’étais DJ, éditrice en chef du magazine de l’école, journaliste pour un journal de ma ville natale, écrivaine débutante, actrice au sein du théâtre de l’école, représentante de mon école à la mairie, etc.

Enfin, à cause du stéréotype selon lequel les filles doivent être plus appliquées, j’ai été critiquée pour mon apparence, mes habits. Parallèlement à cela, les garçons de ma classe pouvaient perturber le cours ou porter des vêtements de sport au quotidien sans se faire blâmer.

Certains stéréotypes se vérifient mais ils doivent rester raisonnables.

Carrière Vs. Famille

On dit souvent qu’on ne peut pas tout avoir et qu’une femme qui veut poursuivre sa carrière doit oublier l’idée de fonder une famille. Ou que celle qui a privilégié sa vie de famille n’atteindra jamais un échelon avancé dans sa carrière. Ce stéréotype est (en partie) le résultat de notre système éducatif, qui ne promeut pas suffisamment la confiance, le courage, la sérénité et l’engagement.

Regardons cette courte vidéo « Teach girls bravery, not perfection » de Reshma Saujani pour le TED

Le lien est clair entre le vécu scolaire et la gestion de carrière, y compris le comportement au travail. Si on répète 100 fois à une fille qu’elle ne pourra jamais avoir une vie de famille heureuse en étant carriériste/ambitieuse professionnellement, à la 101ème fois elle y croira.

Par ailleurs, la pression exercée sur les filles pour qu’elles obtiennent de bonnes notes tout en demeurant jolies et aimables provoque de l’anxiété et du stress. Nous avons besoin d’écoles qui abordent explicitement la question du genre en encourageant activement les filles à subvertir les stéréotypes de genre.

Ma position ici est ambivalente car on est de plus en plus confronté à la multiplication des genres, et non plus à une division en deux genres masculin et féminin. Séparer les classes en deux genres conduira à une restriction des personnalités de l’enfant. Les classes mixtes garantissent la diversité culturelle et de genre ; sans cela, comment les élèves pourraient-ils à la sortie de l’école gérer ces différences ? Le débat continue.