Autrui dans le temps de covid

Article : Autrui dans le temps de covid
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2 novembre 2022

Autrui dans le temps de covid

Photo by Dollar Gill on Unsplash

L’ère de la COVID-19 a menacé l’humanité, peut-être pas l’humanité entière, pas partout, pas de manière homogène. Mais elle l’a menacée au moins en termes de confiance en autrui. On a vu les frontières fermer, des personnes venant des zones les plus touchées par la pandémie se faire mettre à l’écart. Sans oublier la discrimination trivialisée qui existait sans la COVID. Il est temps de réciter Didier Fassin (2017), anthropologue social, qui dit que « l’hospitalité » s’est transformée en « hostilité ».

Elle est arrivée dans nos vies : inconnue, incertaine, isolant, distanciant. La Covid-19. 

Elle s’est permis de créer des catégories et d’étiqueter les gens : personnes à risque, cas contact, clusters, professions non-essentielles, faux négatifs, faux positifs, super contaminateurs, anti vaccinalistes, covidistes… Les cas à part. Les autres. Même des personnes proches sont passées par des stades d’être considérées comme autrui. Prendre distance. 

SE PROTÉGER. 

Soudain, n’importe qui devenait autrui, que ce soit volontaire ou imposé. Il a fallu débattre de ses désirs de visiter ses parents, la mort et l’enterrement sont devenus les affaires quasi solitaires de chacun. C’était audacieux et égoïste de briser le sens de la circulation. La confiance envers autrui s’est réduite à des attestations signées et résignées.

On attend l’écho de l’interculturalité où il existait toujours deux côtés : soi et autrui. Le soi : incompris, mais quand même rassurant, clair, méthodique. L’autre : mystérieux, imprévisible, compliqué.

Qui est-ce, cet autre ?

Selon une des théories du mode de vie de l’homme moderne[1], le feu a rassemblé les groupes nomades qui ont commencé à privilégier le mode sédentaire. Il n’y a pas que le fait de se nourrir de la même chose qui définit les caractéristiques communes de ces premiers hommes. Il y a aussi les habitudes communes qui ont permis de se joindre à un groupe établi et de faire partie d’une tribu naissante. La tribu les a acceptés parce qu’ils lui ressemblaient et qu’ils voulaient pratiquer ce que la tribu pratiquait. La ressemblance du comportement, l’installation des rites et des attributs, la coopération a permis à l’homme moderne de se protéger. 

Ceux qui n’ont pas rejoint notre tribu, sont devenus les autres. Des étrangers. Ils parlent une autre langue, ils portent une autre robe, ils mangent un autre pain, ils prient un autre dieu. Or, l’autre commence à bien dessiner ses altérités aussi. Concrètement, on a trois postures d’autrui : la ressemblance physique qui révèle la ressemblance psychique où l’individu se projette dans son interlocuteur, autrui comme le « barbare » ou l’individu considère l’autre comme totalement imprévisible, l’exotisme d’autrui où l’individu idéalise l’altérité de l’autre[2]. Cette observation de différence et le besoin le plus ancien de se rassurer et se protéger, ont amené les hommes à étudier l’autre. Le soi est allé à la rencontre avec autrui. Evidemment, Ces expériences interculturelles nous ont poussé à nous interroger sur nous-mêmes et sur le monde. On s’est rendu compte que s’intéresser à l’autre nous faisait réfléchir sur nous-mêmes.

The Croods : How To Take A Photo  ( For Fun )
The Croods : How To Take A Photo ( For Fun ) i.makeagif.com

Toutefois, en début de 2020 on était interdit de toute rencontre avec autrui. Autrui est vu, encore une fois, comme une menace, comme un porteur potentiel du virus, de danger. Avec une facilité impressionnante, on a reculé devant autrui. Pour la première fois depuis longtemps, on pouvait douter publiquement d’autrui. Par example, les vidéos gênantes qui montraient des personnes avec des crises de phobies face à des personnes soupçonnées (à tort ou pas) d’être venues des zones les plus touchées et, alors, de porter le virus. C’était choquant, mais compréhensible pour certains.

SE MÉFIER.

Qui sommes-nous sans autrui ?

La dernière revendication identitaire des territoires a été proclamée sous l’égide de ce que nous ne sommes pas. Nous n’acceptons pas l’extravagance, nous n’aimons pas l’hégémonie libérale, nous n’allons pas dans la même direction. Tout s’éclaircit soudainement. Nous savons exactement ce que nous sommes. Bien qu’il ne serait jamais aussi simple de s’identifier si les autres n’étaient pas face à nous, proclamant des choses qui diffèrent. Nous savons aussi qu’autrui n’est pas nous. À contrario, l’autre est décadent, l’autre est vandale, l’autre est phobique, l’autre est menteur.

« Ça suffit, » – Je hurlerais!

Photo by Hannah Popowski on Unsplash

Est-il possible d’ignorer autrui ? 

Si nous regardons autrui de loin, ses traits nous paraissent flous, ininterprétables. Plus nous nous approchons, plus cette chose abstraite prend forme. Elle commence petit à petit à avoir un sens, à nous paraître familière. Nous l’observons tant qu’elle est là, jusqu’à ce qu’elle ne soit plus là. Jusqu’au moment où sa présence est tellement naturelle, tellement nette, que toute question devient une évidence.

L’autre a son propre « soi ». Ce qui est « soi » pour nous, est « autrui » pour quelqu’un d’autre. Comprendre autrui pour comprendre soi. C’est ainsi. Il serait inintelligent de vouloir enlever cette frontière, de persuader tous les autres de devenir soi. La globalisation s’y met un peu. Mais on attend rarement de dire à quel point la différence est belle, excitante, joyeuse. Qu’elle nourrit, qu’elle fait grandir, qu’elle stimule.

Afin, ces derniers mois ont apporté la fraîcheur, le sourire, la curiosité, bref, tout ce qu’il faut pour découvrir l’autre. Comme l’homme moderne a accepté l’autre pour devenir soi, nous devons également l’accepter. Mais à la différence du monde préhistorique, nous avons la possibilité de ne pas nous fondre dans soi en partageant la même zone géographique. Là encore, l’altérité a la possibilité d’être conservée, valorisée et prospère. Nous avons la chance de vivre ensemble, de conserver nos différences et de nous nourrir les uns des autres. Mais en réalité, c’est du luxe, c’est de la rêverie, c’est un travail difficile que personne ne veut faire.

Nous pourrions créer l’espace interculturel partagé. 

Regardez droit, faites confiance. Il y a ceux qui tendent déjà la main…

rapunzely:  Give me your hand. Why? Just let me see it.
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[1] Série-documentaire « Origines » de John D. Boswell sur Disney+;

L’origine des sociétés. Grands Dossiers N° 9 – Décembre 2007 / Janvier-Février 2007

[2] Frame, A. 2008. « Repenser l’interculturel en communication. Performance culturelle et construction des identités au sein d’une association européenne ». Sciences de l’Homme et Société, Université de Bourgogne.

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