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Autrui dans le temps de covid

Photo by Dollar Gill on Unsplash

L’ère de la COVID-19 a menacé l’humanité, peut-être pas l’humanité entière, pas partout, pas de manière homogène. Mais elle l’a menacée au moins en termes de confiance en autrui. On a vu les frontières fermer, des personnes venant des zones les plus touchées par la pandémie se faire mettre à l’écart. Sans oublier la discrimination trivialisée qui existait sans la COVID. Il est temps de réciter Didier Fassin (2017), anthropologue social, qui dit que « l’hospitalité » s’est transformée en « hostilité ».

Elle est arrivée dans nos vies : inconnue, incertaine, isolant, distanciant. La Covid-19. 

Elle s’est permis de créer des catégories et d’étiqueter les gens : personnes à risque, cas contact, clusters, professions non-essentielles, faux négatifs, faux positifs, super contaminateurs, anti vaccinalistes, covidistes… Les cas à part. Les autres. Même des personnes proches sont passées par des stades d’être considérées comme autrui. Prendre distance. 

SE PROTÉGER. 

Soudain, n’importe qui devenait autrui, que ce soit volontaire ou imposé. Il a fallu débattre de ses désirs de visiter ses parents, la mort et l’enterrement sont devenus les affaires quasi solitaires de chacun. C’était audacieux et égoïste de briser le sens de la circulation. La confiance envers autrui s’est réduite à des attestations signées et résignées.

On attend l’écho de l’interculturalité où il existait toujours deux côtés : soi et autrui. Le soi : incompris, mais quand même rassurant, clair, méthodique. L’autre : mystérieux, imprévisible, compliqué.

Qui est-ce, cet autre ?

Selon une des théories du mode de vie de l’homme moderne[1], le feu a rassemblé les groupes nomades qui ont commencé à privilégier le mode sédentaire. Il n’y a pas que le fait de se nourrir de la même chose qui définit les caractéristiques communes de ces premiers hommes. Il y a aussi les habitudes communes qui ont permis de se joindre à un groupe établi et de faire partie d’une tribu naissante. La tribu les a acceptés parce qu’ils lui ressemblaient et qu’ils voulaient pratiquer ce que la tribu pratiquait. La ressemblance du comportement, l’installation des rites et des attributs, la coopération a permis à l’homme moderne de se protéger. 

Ceux qui n’ont pas rejoint notre tribu, sont devenus les autres. Des étrangers. Ils parlent une autre langue, ils portent une autre robe, ils mangent un autre pain, ils prient un autre dieu. Or, l’autre commence à bien dessiner ses altérités aussi. Concrètement, on a trois postures d’autrui : la ressemblance physique qui révèle la ressemblance psychique où l’individu se projette dans son interlocuteur, autrui comme le « barbare » ou l’individu considère l’autre comme totalement imprévisible, l’exotisme d’autrui où l’individu idéalise l’altérité de l’autre[2]. Cette observation de différence et le besoin le plus ancien de se rassurer et se protéger, ont amené les hommes à étudier l’autre. Le soi est allé à la rencontre avec autrui. Evidemment, Ces expériences interculturelles nous ont poussé à nous interroger sur nous-mêmes et sur le monde. On s’est rendu compte que s’intéresser à l’autre nous faisait réfléchir sur nous-mêmes.

The Croods : How To Take A Photo  ( For Fun )
The Croods : How To Take A Photo ( For Fun ) i.makeagif.com

Toutefois, en début de 2020 on était interdit de toute rencontre avec autrui. Autrui est vu, encore une fois, comme une menace, comme un porteur potentiel du virus, de danger. Avec une facilité impressionnante, on a reculé devant autrui. Pour la première fois depuis longtemps, on pouvait douter publiquement d’autrui. Par example, les vidéos gênantes qui montraient des personnes avec des crises de phobies face à des personnes soupçonnées (à tort ou pas) d’être venues des zones les plus touchées et, alors, de porter le virus. C’était choquant, mais compréhensible pour certains.

SE MÉFIER.

Qui sommes-nous sans autrui ?

La dernière revendication identitaire des territoires a été proclamée sous l’égide de ce que nous ne sommes pas. Nous n’acceptons pas l’extravagance, nous n’aimons pas l’hégémonie libérale, nous n’allons pas dans la même direction. Tout s’éclaircit soudainement. Nous savons exactement ce que nous sommes. Bien qu’il ne serait jamais aussi simple de s’identifier si les autres n’étaient pas face à nous, proclamant des choses qui diffèrent. Nous savons aussi qu’autrui n’est pas nous. À contrario, l’autre est décadent, l’autre est vandale, l’autre est phobique, l’autre est menteur.

« Ça suffit, » – Je hurlerais!

Photo by Hannah Popowski on Unsplash

Est-il possible d’ignorer autrui ? 

Si nous regardons autrui de loin, ses traits nous paraissent flous, ininterprétables. Plus nous nous approchons, plus cette chose abstraite prend forme. Elle commence petit à petit à avoir un sens, à nous paraître familière. Nous l’observons tant qu’elle est là, jusqu’à ce qu’elle ne soit plus là. Jusqu’au moment où sa présence est tellement naturelle, tellement nette, que toute question devient une évidence.

L’autre a son propre « soi ». Ce qui est « soi » pour nous, est « autrui » pour quelqu’un d’autre. Comprendre autrui pour comprendre soi. C’est ainsi. Il serait inintelligent de vouloir enlever cette frontière, de persuader tous les autres de devenir soi. La globalisation s’y met un peu. Mais on attend rarement de dire à quel point la différence est belle, excitante, joyeuse. Qu’elle nourrit, qu’elle fait grandir, qu’elle stimule.

Afin, ces derniers mois ont apporté la fraîcheur, le sourire, la curiosité, bref, tout ce qu’il faut pour découvrir l’autre. Comme l’homme moderne a accepté l’autre pour devenir soi, nous devons également l’accepter. Mais à la différence du monde préhistorique, nous avons la possibilité de ne pas nous fondre dans soi en partageant la même zone géographique. Là encore, l’altérité a la possibilité d’être conservée, valorisée et prospère. Nous avons la chance de vivre ensemble, de conserver nos différences et de nous nourrir les uns des autres. Mais en réalité, c’est du luxe, c’est de la rêverie, c’est un travail difficile que personne ne veut faire.

Nous pourrions créer l’espace interculturel partagé. 

Regardez droit, faites confiance. Il y a ceux qui tendent déjà la main…

rapunzely:  Give me your hand. Why? Just let me see it.
i.makeagif.com

[1] Série-documentaire « Origines » de John D. Boswell sur Disney+;

L’origine des sociétés. Grands Dossiers N° 9 – Décembre 2007 / Janvier-Février 2007

[2] Frame, A. 2008. « Repenser l’interculturel en communication. Performance culturelle et construction des identités au sein d’une association européenne ». Sciences de l’Homme et Société, Université de Bourgogne.


Femme occidentale, libérée ou pas encore

Femme libre, l'autoconservation ovocytaire
Crédit: Baylee Gramling on Unsplash

La femme occidentale s’est libérée deux fois. La première, quand Gabrielle Chanel lui a cousu un pantalon, la deuxième, quand le Dr Gregory Pincus a créé la pilule contraceptive. La troisième fois arrivera quand la femme sera en mesure d’accéder, juridiquement et financièrement, à la conservation de ses ovules par la congélation (l’autoconservation ovocytaire).

Mon arrière-grand-mère a eu son 5ème enfant à 47 ans, ma grand-mère a eu ma mère à l’âge de 27 ans (ce qui a été considéré tard pour le premier enfant dans l’Union soviétique de l’après-guerre), ma mère m’a eue à 39 ans (deuxième enfant), ma sœur, qui va bientôt avoir 40 ans, n’a pas encore d’enfant.

J’ai 30 ans, je finis ma thèse et je rêve d’avoir une belle carrière à l’international et, jusque récemment, je voulais avoir des enfants (3). L’historique médical de ma famille me rassure : j’ai encore du temps avant d’avoir un premier enfant, mais mon propre historique, avec le stress, la pollution et la consommation d’alcool me dit qu’il ne faut pas trop compter sur l’historique de ma famille. Voilà pourquoi la possibilité de congeler mes ovules (l’autoconservation ovocytaire) me paraissait intéressante avant que je ne me lance dans la recherche sur ce sujet.  Etant adepte du « Black Mirror », j’ai beaucoup compté sur l’avancement de la médecine de nos jours et sur le droit d’accès sur les procédures vitales.

Ainsi naïvement, je croyais que, comme la démographie de l’Europe baisse, la femme moderne aurait plus de possibilités de préserver sa capacité de donner la naissance et d’être prise en charge pour cela. Ce n’est pas le cas pour le moment malgré les discussions vives en France, notamment autour du projet de loi bioéthique avec des slogans « PMA pour toutes » (procréation médicalement assistée).

En France l’autoconservation ovocytaire n’est accessible qu’aux couples avec une infertilité médicalement diagnostiquée, ou qui sont à risque d’une pathologie avérée (un cancer, par exemple), ou, dans les cas exceptionnels d’une fécondation in vitro reportée. Cependant, cette procédure est autorisée dans les pays scandinaves, en Espagne, en Italie, en Grande-Bretagne, en Belgique, en Russie et au Canada.

En Russie, il existe un grand nombre de cliniques de santé reproductive qui propose cette procédure pour des raisons dites « sociales » (études, carrière, absence de partenaire). La Russie, le pays où la population diminue tous les ans malgré les programmes sociaux de l’aide financière pour avoir des enfants (initialement fait pour un dixième enfant, ce programme s’applique maintenant dès le premier). La population russe ne s’intéresse pas beaucoup à cette option, mais il faut préciser que la congélation n’est pas du tout prise en charge par la médecine dite gratuite du pays. De manière générale, ce sujet reste privé pour les personnes concernées et peu abordable dans la société. Quand j’ai posé la question à ma sœur de savoir si elle aurait congelé ses ovules au cas où l’autoconservation ovocytaire était prise en charge, la réponse fut négative. Face à mon étonnement, ma sœur m’a répondu : « On ne sait pas si l’ovule n’est pas déformé et si cela ne joue pas sur l’embryon. Peut-être ce n’est pas mon destin d’avoir des enfants ».

Aux Etats-Unis les discussions sur ce sujet sont beaucoup plus avancée. Les Américaines, dont la bonne sécurité sociale couvre la procédure pour des raisons médicales, veulent que cette procédure soit couverte pour des raisons sociales aussi. Dans la série « Bold type », on voit la journaliste d’un glossy magazine, Jane, gagner le combat face à la sécurité sociale, ce qui n’est pas encore le cas dans la vraie vie… En 2016, le ministère de la Défense a inclus la congélation dans la liste des procédures prises en charge pour leurs militaires actifs. De plus, beaucoup de compagnie de la Silicon Valley offrent l’autoconservation ovocytaire à leurs employées.

D’ailleurs, en faisant des recherches sur ce sujet et en questionnant les femmes dans mon entourage, j’ai quand même reçu quelques exclamations du genre « Pourquoi veux-tu attendre jusqu’à 40 ans ? ». La réponse n’est pas très convaincante : « Je veux profiter de ma vie, je veux avoir une bonne situation pour que mon enfant ne manque rien et ne souffre pas comme j’ai souffert ». La réflexion sur cette question va bien plus loin que ça. Est-ce que je veux vraiment avoir des enfants parce que la maternité m’attire ? Ou bien ai-je juste peur de rester seule en vieillissant ? Suis-je assez égocentrique pour vouloir laisser ma trace sur cette planète ? Je ne connais pas encore la réponse juste, mais je veux avoir la possibilité de changer d’avis tant que la médecine me le permet.

Or, pour prendre la décision de congeler mes ovocytes, il me reste à peu près 5 ans. Car, d’après les sites des cliniques de santé reproductive russes, il est conseillé de le faire avant 35 ans pour que la qualité des ovocytes ne baisse pas, en plus, après 40 ans, c’est leur nombre qui diminue. En France, cela est possible jusqu’à38 ans, et jusqu’à 45 ans pour le Royaume-Uni. 

Ma décision dépendra aussi de ma situation financière. Faire un gosse vers 35 ans naturellement (donc sans frais supplémentaires) ou bosser comme une folle pour me permettre de l’avoir à 40 ou 45 ans mais avec une procédure est coûteuse (entre 3000 et 10.000 euros uniquement pour le prélèvement et la congélation, ce qui veut dire qu’à peu près le même montant s’ajoutera au moment de la dévitrification).

En réalité, ce sont uniquement les couples infertiles qui sont pris en charge par l’assurance maladie. Mais même dans ce cas, la sécurité sociale ne rembourse qu’une partie. Cela s’applique pour certaines démarches, avant le 43e anniversaire de la femme.

Éventuellement, il existe en France, comme en Russie, une possibilité de congeler ses ovocytes de manière gratuite. D’après l’académie nationale de médecine et selon la loi de bioéthique en vigueur, il est possible de faire un don d’ovocytes. Dans les cas où les donneuses n’ont pas encore eu d’enfant, elles peuvent conserver pour elles-mêmes ces ovocytes, si leur quantité et leur qualité le permettent.

Finalement, ce sujet réveille beaucoup de questions éthiques.

Pour le moment, la procédure reste majoritairement réservée pour des raisons médicales, et minoritairement pour des raisons sociales, elle est accessible dans certains pays pour des personnes aisées.  Faute de quoi, faire un don d’ovocytes semble être une solution.

Serai-je une mécène libérée ?


Mes drag queens et moi

Perruques, tonnes de make-up, sequins, talons hauts, costumes extravagants et plumes : des « criminels » venant de l’underground aux plus grandes scènes mondiales, le chemin des drag-queens n’a jamais été simple mais leur impact socio-culturel fait partie des plus grandes avancées de nos sociétés.

Drag-queen
RuPaul par David Shankbone via Wikipédia

Le drag, c’est quoi ?

Quand je dis que je vais à un concert de drag queen, on me demande très souvent ce que c’est, une drag queen. Non, ce n’est pas un groupe de rock. Ce sont des artistes, la plupart du temps des hommes, qui se fardent de tous les attributs féminins, jusqu’à l’excès : maquillage, perruques extravagantes, talons hauts et haute couture… Presque une gageure de nos jours, alors que face à la misogynie, les femmes doivent se cacher dans l’ombre de la prudence. Quand tu es drag queen, tu n’as pas de gêne à être belle et sexy. C’est un plaisir de se faire belle, de mettre des talons hauts et une robe courte.

« Mais pourquoi font-ils ça ? ». C’est une question dont la réponse unique et valable pour toutes et tous n’existe pas. Par ailleurs, cela peut être l’expression artistique ou l’expression de soi, un besoin de dire et de se faire entendre.

Les drag queens chantent ou réalisent des numéros de « lip-sync » (ou playback), dansent, font du stand-up, participent à des concours de beauté, ainsi que beaucoup d’autres performances… On pourrait aussi citer le burlesque, la spécialité de Violet Chachki, que je suis allée voir au Bataclan ce lundi. Violet, belle et glamour, habillée en haute couture, reflète une confiance en elle que nous sommes beaucoup à lui envier. « C’est un truc de minorités, ça, non ? » Non,il n’y a pas de minorités ici, on est tous égaux, tous réunis pour célébrer la diversité, le talent et la joie de vivre.

Le drag, c’est l’art

L’histoire du drag est presque aussi longue que celle de l’art. Ceux qui ont étudié le théâtre savent qu’en Grèce antique, les rôles féminins étaient incarnés par les hommes. D’ailleurs, c’est la définition même du mot drag, dont les lettres renvoient à « DRessed As a Girl » (habillé en fille). Ces comédiens étaient-ils les premières drag-queens ? On pourrait le penser. Le même subterfuge a été utilisé pour des vaudevilles aux XVIIIe et XIXe siècles. Ensuite, d’objet de curiosité, elles ont été rétrécies au rang d’artistes d’underground restant dans leurs « familles drags » et performant uniquement lors de bals. Mais petit à petit elles ont regagné l’intérêt d’un public plus large.

En tant que millenial russe, j’ai grandi avec les clips de MTV, toute une pop culture où se croisaient notamment diverses icônes gays. Donc pour moi voir Freddie Mercury, ce chanteur reconnaissable à ses énormes moustaches mais surtout le leader du groupe Queen, habillé en femme dans le clip « I want to break free », ce n’était pas du tout choquant. Mon amour pour Freddie m’a ouvert les portes d’émissions sur la culture gay underground. Plus tard, j’ai commencé à m’intéresser à Lady Gaga avec ses looks extravagants… Je me rappelle l’apparition du boys band ukrainien « Kazaky » dont les membres dansaient magnifiquement bien sur les talons hauts. Attirée pas l’esthétisme et la sensualité, j’ai dû souvent googler « hommes sur les talons ».

Ainsi l’image de la drag queen RuPaul s’est-elle imprimée sur ma rétine. Quand je tombais sur les photos de RuPaul, qui est en quelque sorte la mère de toute les drag queens, je savais que c’était RuPaul. Je ne saurais même pas expliquer d’où je connaissais cette super model et chanteuse, activiste, cette drag mother. Son émission « RuPaul’s drag race » (qui a remporté plusieurs Emmy Awards) a permis aux drag queens de la Terre entière d’avoir un nouveau souffle et sa propre place dans la culture mondiale. Celles qui passent dans l’émission vivent la fantaisie d’être superstar, elles sont reconnues par leurs pairs, mais surtout elles permettent aux autres, qui n’ont pas autant la lumière, d’être mieux acceptées et comprises par leurs proches. Comme dit RuPaul :

« Drag race brings families together »,

RuPaum drag-queen
RuPaul’s Drag Race via giphy.com

 

L’émission de RuPaul, que j’ai découvert ensuite sur Netflix, a donné une visibilité hors du commun au drag, à tel point que les gagnantes de ces compétitions burlesques et décalées obtiennent une visibilité et une célébrité gigantesque. Le drag est certes un art, une discipline rude où il faut beaucoup s’entraîner pour faire sa place, mais RuPaul a également su en faire un empire financier, avec ses produits dérivés, ses shows débridés et ses divas millionnaires.

Le drag, c’est la philosophie

L’impact culturel et social des drag queens est significatif. Ce qu’elles projettent prend une toute autre dimension. Cela s’intellectualise et devient le modèle de courage et de l’acceptation de soi et d’autrui, notamment grâce à Sasha Velour, ma drag queen préférée. Avec son intelligence remarquable et son charisme, à travers ses performances et son art, lors de ses interviews ou de ses apparitions publiques, elle explique l’importance du changement de la perception de la sexualité et le danger des stéréotypes et les rôles cadrés de genre. Elle lutte aussi contre la violence envers la communauté LGBTQ+ (lesbiennes, gays, bis, transgenres, queers…) du monde entier, particulièrement en Russie, où elle a fait une partie de ses études. Dans ce pays, les lois contre la soi-disant « propagande homosexuelle » sont très libres d’interprétation et peuvent coûter la vie de personnes innocentes.

Drag-queen Sasha Velour
Sasha Velour Drag Race Finale via giphy.com

Le drag, c’est l’activisme

En plus de leur lutte pour la communauté LGBTQ+, dont elles sont devenues des icônes, les drag queens ont contribué aussi dans le combat pour leurs droits civils aux États-Unis, tout comme en Europe. Leurs personnalités très diverses luttent pour chacun d’entre nous : ceux qui cherchent le body positivisme, l’émancipation des femmes, le militantisme pour les droits des queers. Mais qui dit « queer », en anglais « étrange », dit « nous tous ». Parce que nous sommes tous un peu étranges et à part, tous uniques, et nous méritons tous les mêmes libertés.

Le drag, c’est l’amour

C’est l’amour pour la liberté et pour la vie, et pour le respect des différences. C’est l’amour des proches qui t’acceptent et qui sont fiers de toi, qui partagent avec toi des moments différents : des hauts et des bas.

Pour toutes ces raisons les drag queens sont aussi des ambassadrices interculturelles et peut-être les plus grandes humanistes de nos jours. Elles se moquent les unes des autres, mais elles savent aussi faire de la bienveillance leur mot d’ordre. Elles sont solidaires, elles font preuve d’empathie, la compassion et la compréhension, et ce quelles que soient leur apparence, leur origine ou leurs idées. Elles sont peut-être premières à montrer à quel point la diversité peut être avantageuse et enrichissante pour chaque individu, pour chaque société.

 


Ambassadeurs de l’interculturel

Notre monde n’est pas parfait : il a des injustices, des préjugés, du chauvinisme, du racisme, du favoritisme. Notre monde est agressif, il est jaloux, il est insécure. Toutes les personnes vivantes sur cette Planète ont eu ça en héritage. On continue donc à vivre dans ce monde comme il est. C’est parce que l’on se croit petit pour l’améliorer, on ne se croit pas en mesure de faire les changements considérables. Parfois nous-mêmes jugeons quelqu’un au premier regard, parfois quelqu’un nous attribue une étiquette.

Etudiants ambassadeurs qui vivent à l'international
Ambassadeurs de l’interculturalité
Crédit : Flickr

Mon chemin pour devenir ambassadrice

Je me souviens de ma toute première expérience à l’international qui a été décevante et douloureuse. On m’avait dit : « Mais comment vous vous comportez ! Vous êtes l’ambassadrice de votre pays ! » Je n’ai rien répondu. Que pouvais-je répondre, moi, déçue de moi-même et effrayée d’ignorance des gens, moi, affaiblie de garder ma personnalité, j’étais assise dans ce bureau des bureaucrates, incomprise et ridiculisée. Je me suis juste dit : « Je ne suis pas ambassadrice de mon pays. Si les gens veulent juger tous les Russes par moi, c’est leur problème ». Mais je n’ai pas osé le dire à l’autre.

Depuis mon travail profond sur l’interculturel, j’ai accepté le fait que chacun soit jugé comme représentant de la ou les cultures de son pays. Forcément les gens que nous rencontrons, feront la conclusion du pays de notre passeport en se basant sur nous, sur nos paroles, sur nos comportements, nos croyances, notre respect de la loi, de la vie de la société. C’est comme ça que le constructivisme social, d’après Peter L. Berger et Thomas Luckmann, se crée. Si la réalité se crée, je veux être l‘une de ses constructrices.

J’ai réalisé une chose importante : si je ne peux pas m’empêcher d’être l’ambassadrice de mon pays, je veux être ambassadrice des valeurs que je projette, du comportement ouvert aux différences, combattante d’égalité des chances et de liberté de parole. J’ai choisi de vivre à l’interculturel, donc je suis devenue l’ambassadrice de l’interculturel et je sais que je ne suis pas seule à se retrouver dans ce poste.

Témoignage

Aiperi, une ambassadrice de l’interculturalité, témoigne sur son choix :

« Parce quil n’y a rien de mieux que la diversité culturelle. Une culture cest une richesse dun peuple. Ça serait dommage de vivre à l’époque de la mondialisation et de ne pas en profiter ! J’aimerais tellement découvrir les traditions, le vécu des autres personnes qui des fois n’est pas si différent du mien et partager aussi ma culture. Je pense quon se focalise trop sur nos divergences au lieu de chercher les points communs. C’est drôle mais je me retrouve trop en ma copine brésilienne et mon ami marocain alors que nous venons tous de différents continents. C’est pourquoi je n’arrête pas de répéter à tout le monde qu’il faut être ouvert d’esprit car en restant trop renfermé sur soi-même on risque de rater des belles opportunités et des belles rencontres pleines de richesse! »

Bertrand, un autre ambassadeur interculturel confirme :

« Ce mélange des cultures et des histoires apporte une force en plus dans tous les domaines ».

Voulez-vous aussi devenir ambassadeurs de l’interculturel?

J’ai posé la question sur mon instagram parmi les gens qui me suivent, si quelqu’un voulait devenir l’ambassadeur de l’interculturalité. En fait, je voulais juste confirmer que beaucoup de mes amis et les gens de mon entourage étaient sensibles à ce sujet. À ma grande surprise, même les gens que je croyais ignorants, ont répondu volontaires. On a besoin donc de les guider. Lancer une discussion, c’est une chose, inviter vers les actions est une chose complètement différente. J’ai donc proposé de commencer par des actions simples pour arriver aux plus complexes : aider une touriste étrangère à trouver son chemin ou inviter une connaissance qui vient d’un autre pays à la maison pour un dîner. C’est en partageant des activités que nous pouvons créer des constructions interculturelles.

Peut-être les ambassadeurs de l’interculturalité ne changent pas le monde entier. Mais ils changent certainement le monde de beaucoup de personnes qui se sont senties exclues, solitaires, non comprises et qui savent que les gens qui valorisent la diversité existent et sont de plus en plus nombreux.


Je ne tolère pas, j’analyse

Ce post est un point de vue non populaire sur un sujet sensible qui peut submerger certaines critiques. Je vous prie de ne pas faire des conclusions rapides, prenez le temps nécessaire pour réfléchir et comprendre ce que je veux dire par les mots durs et limités. Je n’ai pas des réponses à tous les problèmes interculturels, je me questionne et je vous invite à une discussion saine.

Tolérance
« Tolerance » by Mary Mackay, Berlin Wall, Berlin
Crédit : Flickr

 

Que veut dire la tolérance?

Dans le monde interculturel on demande souvent d’avoir de la tolérance vis-à-vis d’autrui. Tout le monde tolère sans cesse tout le monde. Mais avez-vous déjà eu l’impression que derrière la tolérance des certaines personnes se cache l’indifférence.  « J’accepte la présence d’autrui, tant que cela ne me touche pas, tant que ce n’est pas dans mon quartier, tant que la personne en question ne s’adresse pas à moi directement ». Ils ferments les yeux, ils préfèrent ne pas savoir ce qui existe, ce dont les gens ont vraiment besoin.

Pour moi, la vraie tolérance n’est pas une acceptation que l’autre et ses problèmes existent quelque part. Pour moi, c’est l’analyse des moments irritants, du comportement inattendu et surprenant. Mais c’est aussi des questions et la recherche des réponses dans un endroit plus sombre de notre inconscience. Là où notre espace personnel est devenu invasif par la présence (involontaire) d’autrui.

Il y a quelques années, quand les médias ont parlé constamment de l’arrivée des réfugiés accueillis en nombre en Allemagne, j’ai suivi un reportage sur la  collocation  entre des allemands et des demandeurs d’asile. L’idée était qu’une famille allemande loue une chambre de sa maison à un réfugié, voire à une famille entière de demandeurs d’asile. Le loyer était payé par l’État ou des associations. Une famille allemande qui a accueilli une famille syrienne, a témoigné pour ce reportage. Ils décrivaient leur quotidien où une chose importante était les dîners ensemble. Tout comme la famille allemande présentait la cuisine traditionnelle, leurs colocataires leur apprenaient aussi la cuisine syrienne. Sans aucun doute cela a permis la meilleure intégration.

Cela m’a énormément marquée. Au contraire des mots solidaires ou des dons d’argent aux personnes abstraites, c’était une vraie bravoure d’inviter des étrangers, des inconnus à sa table, partager ce qui semble très simple, le repas. Ce geste est extrêmement difficile : la nourriture, les capacités culinaires, les habitudes nutritionnelles et les goûts varient tellement d’une personne à l’autre que rien que l’odeur inhabituelle peut causer un blocage et donner l’envie de s’éloigner de la personne.

Or, la tolérance est réelle lorsque la personne est prête à partager le pain avec un inconnu dont la présence même peut gêner.

Vous pouvez vous renseigner à propos de cette initiative de partage de logement via le site d’une plateforme

www.fluechtlinge-willkommen.de

dont le but est de ne pas laisser les réfugiés vivre dans les camps, mais avoir leur coin sécurisé et bienveillant.

La tolérance, c’est le doute

Dans le management interculturel, on nous apprend à être curieux et à l’aise. Mais pour arriver à ce stade, à mon avis, il faut faire un grand travail sur soi, sur ses peurs, ses incertitudes. Cela ne veut pas dire que vous ne ressentirez jamais la gêne, que la présence d’autrui ne vous déstabilisera jamais. Mais vous devez comprendre pourquoi cela vous arrive pour dépasser cette irritation.

La non-violence et le respect font partie de mes règles principales. Mais même avec cette approche-ci, ce serait un mensonge si je disais que je suis comme un poisson dans l’eau dans n’importe quelle culture et que je tolère tout homme sur Terre.

J’ai fait mon coming-out et ai honnêtement admis que je ne peux pas tolérer une certaine culture. Je me suis excusée auprès des amis de ce pays,  et j’ai expliqué pourquoi. Mais il y a des choses que je ne pourrais jamais accepter, ni voir se passer près de moi. Je n’accepte pas le comportement arrogant, ni la posture de supériorité intellectuelle et de droit vis-à-vis des femmes, je ne tolère pas l’idée que l’on doit faire tout pour quelqu’un qui a un statut important ou juste une idée qu’il a de ce statut. Bien sûr, cela ne venait pas de nulle part, cela venait de mon expérience personnelle et j’ai fait ce genre de concision. J’ai honte. Mais je ne laisserai pas passer ce comportement inacceptable pour moi.

La tolérance, c’est l’analyse

Il est inutile d’être tolérant dans ce cas. Je suis pour l’analyse. Je travaille sur moi-même. Pire si j’ai ignoré mon comportement. Je cherche les raisons, je cherche les réponses dans mon éducation aussi, dans ma culture.

Il existe les différences culturelles, mais il existe les valeurs humaines aussi. Il y a les habitudes et coutumes qui peuvent me paraître bizarres mais je ne vais pas démunir mon respect à cause de ça. Je vais essayer de comprendre ou au moins accepter que quelque part cela fasse aussi du sens. Mais là où la dignité d’une personne est touchée, je ne pourrais jamais l’excuser par la différence des cultures. C’est absurde. C’est hypocrite.

La tolérance, c’est le doute, le doute sur ses capacités d’analyser. C’est la reconnaissance de la possibilité que nos croyances puissent être confondues, que nous sommes tombés dans un jugement primitif.

La tolérance, c’est la critique

La tolérance est aussi d’accepter la critique. Quand sur la terrasse d’un café on me dit : « Vous, les Russes, vous êtes des envahisseurs ! Vous avez occupé la Crimée et vous n’avez rien eu ». Vous ne pouvez pas contredire parce que c’est la vérité et le moindre commentaire peut être vu comme la défense et le déni. Personne ne dit que la tolérance et le respect sont faciles. Bref, il fait avaler la critique et analyser.

Je suis humaniste. Je privilégie la nature de notre être, nos origines. Nous ne sommes pas parfaits et ne le serons jamais. Mais nous devons faire de notre mieux.

Nous sommes tous capable de bonté, d’amitié, d’amour. Mais nous n’avons pas tous la même façon de penser, les mêmes goûts, les habitudes qui sont uniques en quelque sorte pour chaque individu.

Nous avons encore cet atavisme de protéger notre territoire, cette peur que si quelqu’un s’approche vers nous, c’est pour nous faire du mal. La tolérance ne vient pas naturellement, il faut avoir la volonté d’accepter autrui et la patience de le comprendre.

Quelle est votre approche de la tolérance ? Que pourriez-vous ne jamais tolérer ?