29 septembre 2017

Solitude d’un étranger à Paris

Une notification dans un groupe Facebook avait déclenché une phase de mélancolie chez Mei. Elle ne remarquait plus que la triste couleur du ciel parisien, ses températures froides et l’arrogance de ses habitant. Une étudiante étrangère de ma promo exposait son âme triste et abîmée, se plaignant que sa vie n’était plus supportable au bout de 5 ans en France, qu’elle se sentait seule, qu’elle n’avait qu’un chat et qu’elle était trop malade pour s’en occuper. « Au moins tu as un chat », avais-je pensé.

Le siamois aux yeux bleus
La solitude du chat : KB

Venue de Chine, elle se retrouvait seule dans un pays individualiste, sans véritables amis, sans copain, sans soutien de sa famille ; elle finissait même par dire qu’elle n’aurait jamais du venir en France. Elle demandait par ailleurs si quelqu’un pouvait garder son chat. Après quelques heures, elle n’avait reçu qu’un seul commentaire exaltant d’une camarade de classe. Je décidai de répondre aussi : « Je peux prendre ton chat, c’est quoi ton adresse ? »

Je n’aime pas les gens dépressifs qui essayent d’attirer l’attention en parlant de suicide. Elle ne m’a même pas répondu. Mais moi aussi, je sentais déjà que la dépression s’installait et paralysait petit à petit mes activités quotidiennes et ma vie entière.

C’était en septembre. L’administration de la résidence où j’étais heureuse avait décidé de ne pas prolonger mon bail, mes amis proches étaient partis dans leurs lointains pays, je devais suivre des études qui ne me plaisaient pas. Et j’étais seule. Ce jour-là, j’ai failli écrire un message Facebook infiniment triste racontant que j’étais isolée, opportuniste, agressive et asociale. Je ne l’ai pas fait – personne n’aime les gens dépressifs. Depuis cet automne,

je déteste septembre, le mois où le vent en emporte tant.

Ma tante me répétait de supprimer ce mot de mon vocabulaire. Facile, c’est le même mot dans toutes les langues que je parle. Dépression – Depression – Депрессия. Mais supprimer le mot ne garantit pas la suppression de cet état. J’avais utilisé les termes angoisse, tristesse, jours difficiles. Je ne pouvais pas oublier ce mot car je me voyais tous les jours pleurant sans raison, énervée à l’idée de sortir de chez moi, effrayée d’ouvrir un livre, paniquée devant mes méls qui s’accumulaient à une vitesse prodigieuse. J’avais un seul désir, celui de rentrer chez moi en Russie, sans jamais garder de contact avec tous ceux que j’avais connus en France. Je souhaitais juste disparaître et supprimer cette expérience de ma vie. Mais je sentais bien que je serais malheureuse là-bas aussi. Ce n’est pas le lieu qui me déprime. C’est moi-même.

Après un an dans cet état de paralysie, je me suis forcée à faire quelque chose, à dépasser ce point mort. J’ai commencé par mes études et je me suis inscrite dans une formation qui m’a permis de découvrir une étude sur le sentiment de solitude chez les expatriés. Il s’avère qu’après des années de vie dans un pays, malgré une belle carrière, des amitiés, des enfants nés dans ce pays, nombre d’expatriés se sentent seuls et incompris.

Phénomène social

En sociologie, on appelle ceci la « séparation » – lorsque les immigrés / expatriés conservent les habitudes et coutumes liés à leur culture d’origine et refusent de s’intégrer dans la culture du pays d’accueil – ou pire, la « marginalisation » – lorsque nous perdons ou n’acceptons plus notre culture d’origine et ne nous adaptons pas encore à une nouvelle culture. On peut constater ce phénomène chez les enfants des immigrés de la première génération, qui ne comprennent pas tout à fait la culture de leurs parents, ne parlent pas leur langue et ne pratiquent pas leur religion. Ils n’intègrent pas correctement les mœurs de leurs parents et dans le même temps, ils se sentent à l’écart dans leur pays de naissance, face aux différences entre les coutumes de leur famille et celles de leurs amis. Cela vous rappelle-t-il quelque chose ?

J’étais effrayée. S’installer dans un pays étranger, y fonder une famille et rester solitaire ! Je me suis donc dit qu’il me fallait oublier tous ces mots qui rendent triste ou anxieuse. J’ai alors cherché ma voie ; je ne l’ai peut-être pas trouvée immédiatement, mais je me suis lancée, j’ai accepté les règles du jeu, j’ai commencé à distinguer plus nettement ma place dans ce pays.

Une fois que l’on s’est adapté, l’intégration dans une nouvelle société se déroule bien, mais pour atteindre cette étape difficile voire inaccessible, il faut beaucoup travailler sur sa perception de la vie ; recevoir des signes positifs des « autochtones » est très important également.

Se sentir le/la bienvenu.e

Dans mon cas, ces signes sont venus de la part de mes amis et des gens de mon entourage qui m’encourageaient par de petites phrases telles que « Tu vas finir par aimer la France », « Vas-y, chante avec nous cette chanson paillarde comme tous les Français : Z’en faites pas, les amies, ce que j’aime en lui… » », « Mais tu réfléchis comme une Française ! », « Pour moi un nez français est pareil au tien ». Je me sentais la bienvenue, je me retrouvais à faire partie de quelque chose de plus grand que moi. Cela m’a convaincue que je pouvais avoir une deuxième patrie et l’aimer avec la même intensité que la première.

Je ne tolère toujours pas les gens en dépression, mais j’essaye de leur faire comprendre qu’ils ne sont pas les seuls à traverser cette phase. Nous sommes des êtres humains, nous avons besoin d’être entourés, c’est ce qui nous rend sociables. Or, si l’on ne se concentre que sur la solitude, elle ne partira pas.

Quelques années plus tard, j’ai consulté la page Facebook de cette fille de ma promo et j’ai vu qu’elle publiait des photos de son chat sain et sauf. Cette fille l’est aussi, elle a toujours son chat et se trouve toujours en France.

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Commentaires

Ianjatiana
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:) i can totally relate comme diraient les anglophones!

comcult
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Pouvoir dépasser cet état est une clé.